La mise en scène de la vie
Tous les jours de notre vie, le rideau se lève et nous jouons le rôle de notre roman-savon. Nous l’avons appris par cœur ce rôle. C’est bien évident puisque nous le jouons depuis la nuit des temps. Nous y sommes tellement attachés que le comédien ne réalise même plus que le personnage n’est pas la personne qu’il est. Il a oublié qui il était, car on lui a laissé croire que son existence était sa vie. On l’a revêtu de costumes et de voiles d’une telle épaisseur qu’il s’identifie désormais à cette personnalité boitante et boiteuse qui ne peut plus marcher sans la béquille de son égo inconscient.
Les spectateurs de la pièce de théâtre se nourrissent de l’énergie de cette comédie et ils en redemandent toujours plus. Leur besoin est tel qu’ils ne quittent jamais la salle de théâtre. Ils y vivent en permanence et se paient une vie à travers les émotions créées par les péripéties du scénario. D’un acte à l’autre, l’histoire se continue, basée sur les mémoires antérieures qui se projettent dans l’ultérieur. Malgré leurs souffrances et leur grande fatigue, les personnages se voient fort heureux de recevoir un tel amour, une telle admiration. On leur réfléchit une image d’eux qui les valorise dans leur rôle. On ne veut surtout pas qu’ils quittent les planches du mensonge pour le plancher de la réalité.
Mais un jour vient où l’exaspération du comédien est telle qu’il n’en peut plus de souffrir et de mourir et de revenir et de souffrir et de mourir et de revenir. C’est alors qu’une colère l’envahit et c’est le début de la fin de cette comédie qui s’amorce. Graduellement, il s’aperçoit qu’il n’est pas seulement le comédien, mais aussi l’auteur de son scénario. Étant aussi l’auteur, il réalise qu’il peut maintenant porter un regard nouveau sur le déroulement de l’histoire. Le personnage inconscient et totalement manipulé par les spectateurs peut maintenant faire place à la personne qui n’a plus besoin de la béquille qu'est le regard des autres. Il peut maintenant discuter avec l’auteur sur le pourquoi des événements et finalement agir créativement pour se bâtir une direction de vie qui répond aux besoins de sa personne au lieu de réagir émotionnellement pour se donner un sens à la vie qui répond aux désirs de son personnage.
Tout affranchissement à la domination a un prix à payer. Le personnage doit mourir de son vivant pour faire place à la personne. L’attachement à ses chaînes et à ses illusions est grand et il est proportionnel à sa peur de l’inconnu qu’est cette personne avec qui il n’a pas parlé depuis longtemps: lui-même.
Michèle Robinson
Avril 2010